Contient :
Il est vident que la fortune pour le moins tardive de ma grand-mere a jou un rïle important dans cette histoire. Sans tout cet argent, mes parents ne seraient jamais revenus s'installer dans le Finistere. Et moi-måme sans doute, je n'aurais jamais quitt Brest pour habiter Paris. Mais le vrai probleme est encore ailleurs, quand il a fallu revenir des annes plus tard et faire le trajet dans l'autre sens, de Paris vers Brest. Isabelle R?f, Le Temps, samedi 7 fvrier 2009 Tanguy Viel exorcise le roman familial dans une mise en abyme habile. On retrouve dans Paris-Brest ses motifs rcurrents: la lutte ingale pour l'argent, la trahison, la haine entre les classes. Ecrire pour effacer le mal Paris-Brest est une histoire d'allers et retours. Tout part et revient a Brest, au bout des terres, omniprsent dans l'univers de Tanguy Viel. Une ville qui aurait pu renaétre de ses cendres dans une belle utopie architecturale. Mais quelques riches grincheux n'ont rien voulu cder de leurs privileges, ils ont gard pour eux la vue sur la baie et le large. On retrouve dans Paris-Brest les motifs qui sous-tendent les livres prcdents. L'Absolue perfection du crime (2001) et Insoup?onnable (2006): la trahison, les faux freres, le foss des classes, les efforts drisoires des pauvres pour s'approprier les privileges des riches. En revisitant avec une grande rigueur le roman noir, ce jeune romancier (il est n en 1973) construit une 'uvre mlancolique, non sans humour. Son criture va en se dpouillant, toujours aussi efficace, prcise, visuelle, d'une remarquable conomie. Il s'agit, dans Paris-Brest, d'un roman familial, a composante autobiographique. Ou plutït de deux: celui que nous lisons, racont par un des acteurs, le fils, et, encháss comme dans une poupe ruse, celui qu'il a crit, pour effacer le mal, au cours d'une clipse parisienne de trois ans. Il y a transpos des choses sur nous, comme dit la mere. De celui-la, nous ne saurons que ce que le fils nous en dit. L'argent est le moteur de cette histoire. Pour ma mere, expliquais-je au fils Kermeur, le monde est tres simple, le monde est une sorte de grand cercle et au milieu, il y a une montagne d'argent et sans cesse des gens entrent dans le cercle pour essayer de gravir la montagne et planter un drapeau en haut. Le fils Kermeur est au centre de l'chiquier, un pion essentiel et mena?ant, seul lment extrieur au microcosme familial. La mere, qui n'aime pas les pauvres, le soup?onne de vouloir s'emparer de la fortune qui lui est arrive par une voie inattendue. Et comme ils ont un contentieux qui date de l'enfance des deux gar?ons, elle a de bonnes raisons d'avoir peur. La grand-mere a conclu un pacte avec un tres vieux monsieur rencontr au Cercle marin. Elle l'a accompagn quelques annes, jusqu'a la mort. Ce viager lui a rapport dix-huit millions et l'appartement sur la baie. A la seule condition qu'elle garde a son service la femme de mnage. Or cette femme est la '/' mere du fils Kermeur, ce voyou, ce voleur, que la mere pensait avoir loign de son fils. Avec elle, l'ennemi de classe est dans la place. La mere en a des crises de spasmophilie. D'autant plus qu'elle-måme est au loin, exile dans le sud de la France, a vendre, mal, des cartes postales. Car, par un mouvement inverse de la fortune, le scandale a frapp le pere, accus d'avoir creus un trou de quatorze millions dans la caisse du Stade brestois dont il tait vice-prsident. Le fils a refus de suivre ses parents dans le Sud honni. Il loge dans un studio en dessous de sa grand-mere. En contrepartie ' tout se paie ' il l'accompagne au restaurant du Cercle marin, au milieu des officiers momifis. Tous les soirs, le fils Kermeur, rapparu, vient sonner a sa porte avec une bouteille. A force d'entendre la vieille dame trottiner au-dessus de leurs tåtes au milieu de ses richesses, il vient des questions aux gar?ons: Franchement, qu'est-ce qu'elle fait de tout ?a, ta grand-mere' C'est le fils Kermeur qui l'a dit mais ils y pensaient les deux. Ils seront complices, lis dans le silence. Qui soup?onnerait un petit-fils' Il part pour Paris, la moiti du butin dans sa valise. Les parents rentrent en Bretagne profiter des millions de la vielle dame. Trois ans passent. Le fils revient pour No?l. Dans sa valise, un manuscrit a remplac les billets de banque. Il y expose ces choses sur nous soigneusement enfouies par la mere, n'pargnant personne: les secrets d'un frere dont on ne savait rien, la vieille histoire du fils Kermeur, tout un tas sordide de non-dits. La mere lit ce rquisitoire mal cach. Va-t-elle faire une de ces crises qui la laissent sans souffle, la tåte dans un sac en plastique' Non, elle choisit encore une fois le silence et le dni. Absurdement, inutilement. Le fils repart pour Paris, libr, mettant un point final aux allers et retours dont est tiss son roman familial.